Comme nous l’avons fait pour la piste qui longe la rue Félix Chédin et de la sente aux loups dans cet article, nous allons dans les lignes suivantes dresser un bilan critique, constructif et argumenté de la piste cyclable récemment inaugurée de l’avenue Marcel Haegelen à Bourges.
Encore une fois, le but de ces articles est :
- de réaliser une analyse critique de l’aménagement
- de faire connaître le point de vue de l’association sur les aménagements présentés
- d’éviter, en les mettant en évidence, que de mêmes erreurs soient faites à l’avenir
Largeur réduite = vitesses diminuées
Une des premières choses qui frappe c’est la refonte totale des perspectives et proportions de l’avenue. La largeur de la voirie centrale, dédiée à la circulation des flux motorisés, a été rétrécie. Les proportions sont désormais, sur une grande partie de la longueur de l’axe, en accord avec un des principes du PDU (Plan de Déplacement Urbains) qui veut qu’en cas de réhabilitation de voirie, 50% de la largeur de celle ci soit réservée aux piétons et cyclistes.
Les perspectives de celle ci ont été cassées : la création d’îlots centraux entre les deux voies de circulation donnent naissance à des courbes qui incitent l’automobiliste à lever le pied. Avant cela, l’avenue était un axe droit ou rien ne le forçait à ralentir si ce n’est le code de la route et la présence éventuelle de la police.
Quand on sait qu’un des premiers facteurs de sécurisation de la rue c’est la maîtrise des vitesses, nous ne pouvons que saluer l’effort qui a été fait sur cet axe à ce sujet.
Ceci étant, notons que ces îlots ont étés réalisés pour faire place à des tourne à gauche dont le Plan de Déplacement Urbains (PDU) préconise la suppression page 196 :
« [...] on utilisera avec parcimonie les files de tourne-à-gauche et surtout de tourne-à-droite, pour les raisons suivantes :
- elles élargissent l’emprise automobile, au détriment des trottoirs et/ou des aménagements cyclables,
- elles allongent les traversées piétonnes,
- elles favorisent des vitesses élevées. »
Une piste cyclable sur trottoir
Cette axe est équipé d’une ou plutôt de deux pistes cyclables unidirectionnelles dans chaque sens de circulation : une dans le sens montant, une dans le sens descendant. Contrairement à une idée très répandue, la piste cyclable n’est pas toujours l’aménagement le plus opportun ni le plus sûr en milieu urbain dense. Nous expliquons pourquoi dans cet article.
Avant d’entrer dans l’intérêt ou non d’avoir créé une piste cyclable sur cet axe, soulignons le fait qu’elle a été réalisée sur trottoir ce qui est contraire à de nombreuses recommandations d’associations d’usagers et du Centre d’Etude sur les Réseaux, les Transports et l’Urbanisme (CERTU) qui déconseille vivement ce type d’aménagements.
Réaliser une piste cyclable sur un trottoir créé des conflits d’usages entre cyclistes et piétons : deux piétons marchant ensemble sur le trottoir empiéteront naturellement sur la piste cyclable et la vitesse des cyclistes n’est pas compatible avec la vitesse de déplacement d’un piéton.
Pour accentuer ce conflit, on remarquera que le revêtement du trottoir fait de pavés disjoints et celui de la piste cyclable lisse incite fortement le piéton à marcher sur la piste cyclable comme l’a bien souligné le Berry Républicain dans son édition du 9 septembre 2013. Personnes âgées, parents avec poussettes et personnes à mobilité réduite (qui rappelons le, ne se limite pas aux personnes en fauteuil) préfèrent donc marcher sur la piste et gêner ainsi le déplacement du cycliste… quelle pagaille !
Dernier point sur la piste cyclable : sa largeur oscille entre 1,10m et 1,30m là ou la largeur minimale préconisée varie entre 1,50m (FUB) et 2,00m (CERTU) selon les sources.
Pourquoi une piste cyclable ?
La question peut paraître absurde pour une association qui promeut les déplacements à vélo mais, comme nous l’avons déjà expliqué à plusieurs reprises, Mon Cher Vélo envisage les aménagements cyclables au travers de tout les outils qui existent et non par le seul prisme de la piste cyclable.
Un des principaux facteur de risque d’accident étant la vitesse, une fois celle ci réduite comme vu plus haut, il était envisageable de faire pacifiquement cohabiter vélos et flux motorisés. L’implantation d’une bande cyclable d’au moins 1.20m de large hors marquage sur la droite de la voie motorisée aurait tout à fait pu convenir à la sécurité des cyclistes, des autres usagers et aurait libéré les trottoirs pour les piétons.
Comme on le sait, la majorité des accidents à vélo interviennent aux intersections ou lors de changements de direction du cycliste ou des autres usagers de la route. En section courante, c’est à dire quand tout le monde avance dans le même sens, l’accidentologie reste faible. Il est donc primordial de bien gérer les intersections lors de la réalisation d’un aménagement cyclable.
Or, dans le cas de l’Avenue Marcel Haegelen, la co-visibilité des usagers aux intersections n’est pas optimale et peut être accidentogène. De plus, les lignes d’effet des stops et autres cédez le passage des voies secondaires sont placées derrière les traversées cyclables. Autrement dit, les automobilistes sont obligés de mordre sur la piste cyclable afin de voir la route et s’y insérer comme on le voit sur les photos ci dessous.
Du côté du cycliste, même si la piste cyclable « bénéficie du même régime de priorité que la voie qu’elle longe » (art R415-14 du code de la route), celui ci sera, pour sa sécurité, amené de ralentir à chaque intersection avant de la franchir. Il sera même contraint de s’arrêter s’il y a un véhicule compte tenu du mauvais placement des stops et cédez le passage comme vu précédemment. Conséquence directe : une perte de temps et d’énergie qui sont des denrées précieuses à vélo !
Si l’on veut aller au bout des choses, il aurait été intéressant de se demander s’il était nécessaire de faire un aménagement cyclable côté impair de l’avenue, dans le sens descendant. En effet, le danger à vélo ce sont les intersections et la différence de vitesse entre le cycliste et l’automobiliste qui le double. Or dans ce sens de circulation et aidé par le relief, le cycliste roulera facilement à des vitesses proches des flux motorisés soit aux alentours de 25 à 30km/h et n’a donc peut être pas besoin d’aménagement spécifique…
D’autant plus que l’espace gagné d’un côté aurait put être mis à profit de l’autre en élargissant la bande cyclable dans le sens montant. Ainsi, dans le sens montant, les cyclistes auraient bénéficié d’un espace confortable pour leur ascension guidonnante à la trajectoire oscillante…
Potelets, entretien et autres bâtons dans nos roues
L’actuelle municipalité de Bourges semble vouer un culte absolu aux potelets. Ces poteaux de métal d’environ un mètre poussent par centaines à chaque nouvel intervention sur la voirie. Nous, à Mon Cher Vélo, on en peut plus de ces potelets… et nous ne sommes pas les seuls.
Les potelets sont des dispositifs anti-intrusion dont le but est d’empêcher les automobilistes de stationner sur des emplacements qui ne leur sont pas réservés. Sauf qu’en voulant canaliser une partie des usagers de la route (les automobilistes), on en arrive à pénaliser les autres, cyclistes en tête (et bien souvent aussi, les piétons et les personnes à mobilité réduite).
Car comme on le voit sur la photo ci dessous, les potelets sont une gène très présente sur la piste de l’Avenue Marcel Haegelen. En plus d’être un obstacle dans lequel le cycliste flâneur risque de se prendre le guidon, le potelet fait perdre de la surface utile de piste cyclable : si vous posez un potelet de 10cm de diamètre au milieu d’une piste cyclable, ce ne sont pas 10cm de largeur de piste que vous perdez mais au bas mot 50 ! Sur une piste d’une largeur de 1.20m, c’est près de la moitié de sacrifiée…
La réalisation d’un aménagement cyclable est une chose, son entretien en est une autre. A peine 3 mois après son inauguration, la piste cyclable est déjà envahie par les branches des plantes rampantes qui la jouxtent. Nous obtenons ici le même résultat qu’avec les potelets : de la largeur de piste perdue… Schématiquement, cela donne :
Au titre des absurdités, on pourrait également citer la sortie de piste côté impair de l’avenue, au niveau de l’église Saint Henri. La sortie à angle droit donnant sur un sas vélo n’est absolument pas pratique et oblige le cycliste à poser pied à terre : priorité est donnée au flux motorisé.
A l’époque où les travaux commençaient, Mon Cher Vélo a pointé ce problème (entre autres) et signalé que la sortie n’était pas optimale. Une contre proposition (cf photo ci dessous) a été faite qui était d’aménager une bande cyclable sur les derniers mètres afin de ré-insérer le cycliste dans la circulation et lui permettre de poursuivre son déplacement de façon fluide.
Pour illustrer l’aménagement que nous imaginions, voici ci dessous un exemple de sortie de piste plutôt réussi à notre sens vu à Saint Amand Montrond :
Cette proposition, qui ne remettait en cause qu’une partie infime du projet et ne changeait rien au budget de travaux a été refusée car « la sécurité a été privilégiée à la fluidité » (sic). Toutes les études qui prouvent que la mixité des usages est souvent plus sûre que leur séparation n’ont pas eu raison de la décision : le cycliste devra s’arrêter en bas de la piste, descendre de son vélo, le placer dans le sas vélo (ou sur le passage piéton étant donné que personne ne les respecte à Bourges) et remonter dessus… tout ça avant que le feu vert ne se déclenche où il risque coups de klaxons et insultes de la part des automobilistes pressés… si vous n’aimiez pas le vélo, votre avis sera conforté !
Et s’il se déplace en biporteur, en triporteur, avec une remorque ou d’autres « originalités » dans ce genre, alors bon courage à lui !
Dernier aspect problématique : l’ouverture intempestive des portières et les risques de collision qu’elles entrainent. Outre atlantique et notamment au Canada, le « dooring » et traité comme un vrai problème, très accidentogène comme en témoigne la vidéo ci dessous.
Chez nous, le danger que représente ce comportement est souvent minimisé mais il est réel car :
- soit le cycliste fait un écart brutal pour éviter la portière ce qui surprendra les véhicules qui le suivent et peut mener à une collision
- soit il la percute et tombe sur la voirie motorisée et peut alors se faire écraser la le véhicule qui le suit
Car dans ce genre de circonstances, ce qui tue, ce n’est pas la portière mais le véhicule qui suit. Ceci étant, dans le cas de l’avenue Marcel Haegelen, le risque est minimisé car s’il percute une portière le cycliste risquera « juste » une gamelle mais il chutera sur le trottoir où il ne sera pas suivi d’un véhicule motorisé. De plus, environ la moitié des places de stationnement ont été correctement traitées en prévoyant un espace pour l’ouverture de la portière comme le montre la photo ci dessous.
Mais le passager qui descend de la voiture sera beaucoup moins attentif que le conducteur car il ne risque pas de se faire arracher sa portière par une voiture côté trottoir… c’est pourquoi implanter une bande cyclable côté voierie, en prévoyant un espace raisonnable entre celle ci et les stationnements apparait souvent comme une solution moins dangereuse.
Stationnement vélo inexistant
Ce qui laisse aussi penser que cet aménagement a été fait sans réelle considération pour le vélo, c’est l’absence de stationnement. En haut de l’avenue, il y a un bureau de poste,, une boulangerie, un bar… un petit coeur de quartier composé divers commerces pour lesquels la clientèle cycliste serait une véritable aubaine.
Mais regardez bien le long de la piste cyclable : il n’y a AU-CUN arceau pour y poser et y accrocher solidement votre vélo… une grossière erreur qui prouve le sérieux avec lequel est considéré notre ami à deux roues par les services de la ville…
On ne va pas en écrire plus dans ce paragraphe… on a vite fait le tour du sujet voyez vous…
L’avis de Mon Cher Vélo
Vous l’aurez compris : cette piste à priori bien faite peut être considérée comme un vrai parcours du combattant par bon nombre d’usagers. Comme nous l’avions conclu au sujet de la piste cyclable de la rue Félix Chédin, elle conviendra à des cyclistes occasionnels, peu expérimentés ou aux parents qui emmèneront leurs enfants en balade le dimanche mais les « vélotaffeurs » qui n’ont pas de temps à perdre et roulent en moyenne à plus de 20km/h préféreront emprunter la voie motorisée, plus confortable et plus directe… quitte à se faire houspiller par les automobilistes qui ne comprendront pas (et on peut les comprendre) pourquoi il ne roule pas sur la piste qui lui est réservée.
Elle est un malheureux exemple de ce qu’il ne faut pas faire lorsqu’un parle d’aménagement cyclable : un aménagement cyclable sur trottoir qui cumule beaucoup d’inconvénients de la piste sans en présenter beaucoup d’avantages. D’autres solutions mieux adaptés à la configuration de la rue auraient put être envisagées sur cet axe.
Notre avis est d’ailleurs corroboré par celui d’Isabelle Lesens (experte reconnu en matière d’aménagement et de politique cyclable) qui, après avoir pédalé à Bourges et emprunté, entre autres, l’Avenue Marcel Haegelen a rédigé un article peu élogieux sur les aménagements de la ville.
Pour appuyer encore notre avis, on peut lire page 231 du Plan de Déplacements Urbains :
- consommation d’espace plus importante,l’espace est pris sur les piétons et pas sur la voiture. Par exemple, rue de Lazenay, où une piste cyclable vient d’être créée, le stationnement automobile se fait sur un des deux trottoirs,
- contrairement aux idées reçues, plusieurs études européennes ont montré que les pistes cyclables sont 3 à 4 fois plus accidentogènes que les bandes cyclables, car la moins bonne visibilité réciproque du cycliste et de l’automobiliste génère des accidents beaucoup plus nombreux aux intersections,
- les pistes cyclables se prêtent plus difficilement au balayage et au déneigement mécaniques »
Seul point sur lequel cet axe nous semble être une réussite : la modification des perspectives et la mise en place de chicanes qui modèrent la vitesse et ont amélioré la sécurité des traversées piétonnes et cyclistes.
Au delà du bilan que l’on peut tirer de cette piste à postériori, ce projet a été pour Mon Cher Vélo un exemple de concertation manquée. Les plans de réalisation de la piste on certes étés mis à disposition de l’association mais aucune des prescriptions et remarques formulées n’ont été prises en compte. De plus, cette mise à disposition est intervenue alors que les travaux de voirie débutaient, la marge de manoeuvre était alors très limitée… ceci expliquant peut être cela…
Bonjour,
J’ai contacté la ville de Bourges pour un problème d’aménagement de la voirie contraire aux recommandations du CERTU. Leur réponse : ce ne sont que des recommandations… En gros le CERTU est payé pour faire des études pour RIEN puisque les communes ne sont pas obligées de les suivre.
Donc ça ne m’étonne pas que les aménagements des pistes cyclables ne les respecte pas non plus…
Sans même vous avoir contacté une seule fois et sans avoir lu le PDU, je vois que l’on tombe sur les mêmes conclusions : cette piste que j’utilise tous les jours est mal foutue… et l’envie de rouler avec les voitures pour aller plus vite et moins risquer l’accident me tente bien !
Mais ne suis je pas malgré tout obligé de l’utiliser ?
Le saviez-vous, les habitants du quartier ont rebaptisé l’avenue « les champs élysées », c’est vrai qu’avec tous ces beaux petits pavés blancs (et glissants) elle est complètement en accord avec le slogan que la mairie affichait lors des travaux ; « Bourges, embellir la ville »… moi je me demande combien ça coûte un pavé et un potelet dîtes, ça vaut combien ?
ici sur Angers c’est encore bien pire je vous assure ville pro voiture.
Ah la piste cyclable sur le trottoir !
Il semblerait bien que ce soit une implantation illégale comme l’indique ce dépliant http://www.voiriepourtous.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/depliant_loi_laure_cle5c3827.pdf (trouvé dans un autre article de votre excellent site)
La mairie a-t-elle osé mettre des panneaux ronds sur fond bleu pour indiquer que leur usage était obligatoire pour les cyclistes ?