Vous l’avez peut être remarqué sur place ou lu dans le Berry Républicain du jour, un ralentisseur a récemment été installé rue des Arènes à Bourges.
Le but est de faire ralentir les automobilistes qui roulent trop vite dans cette voie à sens unique étroite du centre ville. L’intention est donc bonne : maitriser les vitesses et pacifier la rue en vue de la rendre plus sûre et de faciliter la cohabitation entre les usagers (piétons, cyclistes, automobilistes… et transports en commun car la navette passe ici), voilà des idées auxquelles nous ne pouvons qu’adhérer.
Mais si nous sommes tout à fait en accord avec le fond, c’est la forme qui ne nous semble pas adaptée à la typologie des lieux : voilà encore un exemple flagrant de situation qui n’a été observée que par des yeux d’automobiliste… alors qu’on est là en plein centre ville et que les modes actifs tels que la marche et le vélo devraient être la priorité, les voici oubliés de cet aménagement.
Les usagers vulnérables oubliés
Oubliés de cet aménagement oui. Car si nous n’avons pas la prétention de représenter tous les piétons et tous les cyclistes de Bourges et du Cher, nous avons tout de même une légitimité et sommes, à ce jour, la seule association d’usagers piétons et cyclistes du Cher. La mairie de Bourges n’ignore pas notre existence et un simple mail ou coup de téléphone aurait suffit à recueillir notre avis sur ce projet d’aménagement.
Mais cela n’a pas été fait. Les usagers n’ont donc pas été consultés.
On nous répondra éventuellement que les riverains ont peut être été consultés… bof… pas sûr que lesdits riverains aient pensé à envisager les choses comme nous allons vous les présenter…
Car pour cela, il faut des connaissances, il faut se documenter, voir ce qui se fait ailleurs, analyser, échanger avec d’autres usagers et des techniciens… un travail que Mon Cher Vélo fait depuis sa création et qui lui confère aujourd’hui une expertise et une connaissance précise des choses. Une valeur reconnue par beaucoup mais bien souvent méprisée par les pouvoirs publics locaux.
Nous ne disons pas que les riverains n’y connaissent rien et que leur avis est à jeter. Nous disons juste que nous aurions probablement eu notre place autour de la table pour discuter de ce projet et permettre à tous de faire un pas de côté de façon à envisager les choses autrement.
Constats sur l’installation du plateau surélevé
Pour rendre les choses parlantes, nous vous proposons ici différents montages photo de la rue des Arènes. Nous partions de l’état actuel (celui que nous désapprouvons) pour proposer d’autres solutions qui auraient pu être envisagées pour créer de la vie et maitriser les vitesses dans cette rue.
Navré pour la piètre qualité des retouches qui ont été réalisées mais nous ne sommes qu’une modeste association d’usagers, pas un bureau d’étude qui aurait demandé 10.000€ à la ville pour faire (a peu près) le même travail.
Tout d’abord une vue de la rue des arènes comme elle est aménagée désormais. Un ralentisseur à 35000€ (le Berry Républicain annonce dans son article entre 25000 et 50000€… une paille ! ) a été installé devant la sortie d’une antenne de l’école Saint Dominique probablement car c’est là que les problèmes d’excès de vitesse sont les plus sensibles avec la présence d’élèves et la sortie du parking.
Le problème avec ce plateau surélevé, c’est qu’il est une source d’inconfort pour les cyclistes ainsi que pour les conducteurs de la navette qui passe ici à rythme (ir)régulier.
Pour ne pas subir d’inconfort, le cycliste sera amené à serrer dans le caniveau ce qui est totalement contraire avec une bonne pratique du vélo en ville : comme nous le répétons souvent, le cycliste qui circule sur la chaussée doit prendre sa place. Il ne doit surtout pas serrer à droite au risque de faire croire à l’automobiliste qu’il peut doubler et de ne plus avoir d’ « espace vital » entre ses roues et le trottoir pour se rabattre si besoin.
Lors de toutes nos interventions (et notamment durant nos balades mensuelles mieux circuler en ville à vélo) nous n’avons de cesse de répéter aux cyclistes que nous rencontrons de prendre leur place sur la voie, quitte à rouler à 1m du caniveau. Cela demande de la ténacité, parfois du courage, mais c’est à ce prix qu’on améliore sa sécurité en ville.
La vidéo que nous avons publié sur notre chaine youtube (ci dessous) qui décrit comment bien circuler dans un double sens cyclable et favoriser une cohabitation paisible entre les usagers n’est donc plus applicable à cet endroit… et c’est bien dommage.
En ce qui concerne les conducteurs d’Agglobus nous ne leur avons pas demandé leur avis sur ce plateau et ne saurions parler à leur place. Mais nous savons par expérience que l’installation de ralentisseurs pose toujours problème dès l’instant qu’il y a passage de bus. En effet la source d’inconfort pour les conducteurs est telle que cette solution est quasi systématiquement écartée par les services de la ville lorsqu’il s’agit d’intervenir sur une voirie.
… du moins elle l’était jusqu’alors… les sièges des conducteurs auraient ils été modifiés ou leurs lombaires et cervicales oubliées elles aussi… ?
Et pour appuyer notre constat, voici ci dessous un paragraphe issu du Plan de Déplacements Urbains (PDU) voté par la ville de Bourges (et toutes les communes de l’Agglomération) en mai 2013. Chacun constatera que celui ci est plutôt explicite sur l’usage des plateaux surélevés…
Ralentir autrement
A partir de ce constat, on peut estimer que la solution retenue n’est pas la meilleure. Pour ralentir la circulation, d’autres solutions existent, et pour moins cher. Ces solutions ont été citées dans le PDU que nos élus ont voté.. mais probablement sans le lire.
Ces exemples, nous les reprenons ici avec les montages photo suivants.
- Installer un (vrai) double sens cyclable dans la rue
Depuis le 1er Juillet 2011, les vélos sont autorisés à emprunter la rue des Arènes dans les deux sens. C’est ce qu’on appelle un Double Sens Cyclable (DSC), une mesure nationale qui autorise les cyclistes à emprunter les sens interdits dans les rues situées en zone 30 (ce qui est le cas de tout le centre historique de Bourges).
Même si aucun (oui oui aucun… pas 1, pas 10 : zé-ro) accident n’a eu lieu suite à la mise en place de ce dispositif dans le centre de Bourges, nombreux sont les cyclistes qui témoignent de difficultés pour les utiliser et de craintes au contact des voitures.
En décembre 2011, nous obtenions l’installation de panneaux avertissant les automobilistes que des cyclistes pouvaient arriver en face d’eux aux entrées de la zone 30 (car non ce n’avait pas été prévu… cherchez l’erreur…).
Depuis, nous n’avons de cesse de demander du marquage au sol dans les rues où cela est possible (rue des Arènes, Fernault, Gambon, Henri Ducrot, Littré…) afin de matérialiser les DSC pour prévenir les automobilistes et rassurer les cyclistes… en vain.
Et pourtant, lorsqu’ils sont bien faits, comme nous le proposons sur la photo ci dessus, les DSC permettent de diminuer les vitesses pratiquées. Une étude menée sur la ville de Paris (où les automobilistes sont loin d’être des tendres, vous en conviendrez) a démontré que les DSC permettaient de diminuer les vitesses de 6 à 7km/h en moyenne.
Hormis des frais d’entretiens liés à la dégradation des peintures, un tel aménagement présenterait plusieurs avantages :
- une diminution des vitesses sur toute la longueur de la rue et pas seulement là où est le ralentisseur
- une sécurisation des cyclistes et une diminution de leur circulation sur les trottoirs
- un avertissement à l’attention des automobilistes dans cette rue bien fréquentée
- aucun problème de nuisance sonore du au ralentissement et à l’accélération des véhicules avant et après le plateau surélevé
- d’après nos calculs, un tel aménagement coûterait environ 3500€ pour la totalité de la rue soit un coût 10 fois inférieur à celui du ralentisseur posé par la ville
- Tendre vers une zone de rencontre
Une zone de rencontre, c’est ce qui a été (mal) fait dans la rue Jacques Coeur, parallèle à la rue des Arènes. C’est une rue où la vitesse est limitée à 20km/h où le piéton a une priorité absolue sur le cycliste qui a une priorité absolue sur l’automobiliste. La voiture n’y est pas bannie mais tolérée.
Nous avons tenté de représenter au mieux ce à quoi pourrait ressembler la rue des Arènes si elle tendait vers une zone de rencontre… idéalement, il faudrait supprimer les trottoirs et faire une rue où tout est à niveau ainsi que supprimer les potelets qui la longent. Trottoirs et potelets donnent en effet à l’automobiliste une espèce de « guide visuel » et renforcent l’aspect rectiligne de cette rue ce qui favorise les vitesses.
Dans le cas d’une zone de rencontre bien faite, le marquage au sol du DSC ne serait même pas nécessaire car les faibles vitesses permettraient une saine cohabitation. On peut aussi imaginer agrandir les terrasses des quelques bars et restaurants qui sont dans cette rue afin de l’animer et la rendre plus attractive : plus de piétons = vitesses diminuées.
Installer des obstacles visuels et / ou sonores
Comme le dit le PDU, les perspectives visuelles influent sur le comportement de l’automobiliste et une voie parfaitement linéaire favorise les vitesses élevées. Une solution simple contre ce phénomène est de casser les perspectives.
C’est plutôt simple à faire lorsqu’un rénove entièrement une voirie (ce qui a été fait sur l’avenue Marcel Haegelen nous semble être, à ce titre, plutôt un bon exemple), mais ça l’est tout autant dans une voirie existante… et ça coûte encore moins cher !
Sur la photo ci dessus, l’installation d’arbustes en pots permettrait de casser un peu la perspective rectiligne de la rue, quitte à les placer de manière à empiéter légèrement sur la voirie. C’est ce qu’à fait la commune d’Aubigny sur Nère fin 2013 alors qu’elle réaménageait la rue du charbon : en plus des lourds travaux de voirie qui ont été entrepris, des arbres et plantes en pot ont été disposés en quinconce de manière à obliger les automobilistes à ralentir dans cette zone de rencontre.
Une solution simple et efficace qui est toujours en place aujourd’hui.
Les changements de revêtements de voirie peuvent également jouer le rôle d’obstacle visuel. Plutôt qu’avoir une table de billard devant lui, l’automobiliste qui fait face à des lignes transversales devant lui aura tendance à lever le pied.
Ces obstacles visuels peuvent aussi être rendus sonores en changeant l’aspect de la route. Des bandes de pavés (qu’on adore à Bourges) par exemple permettraient de jouer sur les vitesses pratiquées. Cependant d’autres solutions existent pour ne pas faire subir aux riverains le bruit que cela provoquerait.
En tout état de cause, cet aménagement n’est qu’un test. Mais comme il s’agit d’un aménagement lourd et qu’il ne sera pas évident de rendre à la route son état initial, il y a fort à parier qu’il restera ainsi.
Cyclistes et conducteurs de la navette n’auront qu’à prendre leur mal en patience et tout cela n’aura permis de traiter, à grand frais, qu’un point précis de la rue alors que le problème est bien plus général que cela. Les piétons qui souhaiteront traverser la rue des Arènes en d’autres points continueront donc à prendre des risques.
Car en effet, le PDU nous dit qu’environ 50 % des véhicules sont en excès de vitesse en agglomération et que 5 à 10 % des véhicules dépassent la vitesse limite de plus de 20 km/h et on ne pourra pas mettre des ralentisseurs partout.
En revanche, passer de 2% à 10% de déplacements à vélo permettrait, entre autres bénéfices, de diminuer les vitesses pratiquées… encore faut il le vouloir réellement.
______________________________________________________________________
Liens
Coût des aménagements cyclables par le Club des Villes et Territoires Cyclables
Aménager une Zone 30 plutôt bien, assez rapidement et pour pas très cher
A lire aussi sur notre site :
> Détails et explications sur les zones de trafic apaisées (zones 30, zones de rencontres et aires piétonnes)
> Comment l’absence de repères routiers admis comme classiques (feux, trottoirs…) peuvent mener à pacifier la rue